E. Pibiri : u.a. (Hg.) : Féminité et masculinité altérées

Cover
Titel
Féminité et masculinité altérées: transgression et inversion des genres au Moyen Âge.


Herausgeber
Pibiri, Eva; Abbott, Fanny
Reihe
Micrologus Library
Erschienen
Florence 2017: SISMEL - Edizioni del Galluzzo
Anzahl Seiten
378 S.
von
Anne-Lydie Dubois

Ce nouveau volume de la collection Micrologus Library rassemble les interventions d’un colloque international tenu à l’Université de Lausanne en novembre 2013. Les treize contributions qui constituent cet ouvrage s’inscrivent dans une perspective historique en lien avec l’étude du genre, en tant que construction culturelle et sociale, à travers la thématique de la transgression et de l’inversion des genres. La diversité des objets traités met en perspective les caractéristiques assignées à chaque sexe, que façonnent les normes religieuses, juridiques ainsi que les comportements, les rôles et les places hiérarchiques attribués aux hommes et aux femmes au sein de différentes sociétés. Le sujet du genre, en plein essor dans le domaine de l’histoire, manquait parmi les volumes de la collection Micrologus Library. Cet ouvrage comble cette lacune en ayant le mérite d’appréhender la transgression et l’inversion des sexes non pas en partant du seul point de vue de l’histoire des femmes, qui tend souvent à résumer l’histoire du genre, mais aussi en rapport avec l’histoire de la masculinité développée depuis les années 1990, comme Eva Pibiri et Fanny Abbott le font apparaître dans la préface de ce volume. Les deux approches s’avèrent en effet complémentaires pour comprendre les interactions entre les sexes et les systèmes de représentations culturelles propres à la manière de les envisager, d’autant plus indispensables pour saisir les questions de transgression et d’inversion.

Cette série d’articles s’inscrit dans une optique pluridisciplinaire avec des contributions dédiées à l’histoire politique, à l’histoire de la médecine et du droit mais également à l’histoire de l’art et fait également place à la littérature médiévale. Si le long Moyen Âge, des prémices jusqu’au seuil du XVIe siècle, occupe la part la plus importante des contributions, une ouverture est ménagée vers l’Antiquité et l’Époque moderne. À côté de l’Occident, le monde oriental est également exploré à travers des études portant sur l’art seldjoukide, l’Empire byzantin ou encore sur les écrits musulmans du Moyen Âge.

Au sein de la thématique de la transgression et de l’altération des genres, les contributions se structurent autour de deux axes centraux. Nous nous bornerons ici à présenter une partie des articles selon ces deux angles de recherche. D’une part, l’inversion ou la transgression dans les caractéristiques et les rôles dévolus à chacun des sexes se fait jour au sein du pouvoir politique et religieux. Ainsi, la contribution d’Ivan Foletti se penche sur le problème complexe des femmes ordonnées dans les structures ecclésiastiques de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge. Celles-ci jouent un rôle actif dans les églises primitives, en Orient et en Occident, avant de se voir écartées de l’autel dès le milieu du Ve siècle en raison d’une lutte acharnée pour l’exclusivité masculine dans l’espace du sacré. L’iconographie porte toutefois au-delà de cette temporalité les traces d’une place dès lors transgressive en regard de l’interdiction formulée envers le clergé féminin. L’analyse de la figure de la Vierge Marie entre le IIIe et le VIIe siècle montre qu’elle assume les traits et les attributs des femmes consacrées, prolongeant par l’image et inscrivant dans la mémoire cette fonction prohibée. Dans un tout autre contexte, l’étude de Giuseppina Lenzo sur l’Égypte pharaonique montre les rôles de pouvoir dont se saisissent certaines femmes au sein des familles royales, en tant que régentes ou comme pharaons dans quelques rares exemples. Si ces fonctions par essence associées aux hommes ont bien existé en Égypte, elles prennent place dans des situations exceptionnelles en l’absence d’héritiers mâles. Le cas de la reine Hatchepsout comporte la particularité de signifier le caractère transgressif du rôle de pharaon pour une femme à travers la masculinisation de ses représentations afin de légitimer son pouvoir, remis en cause par la présence d’un autre pharaon en place (Thoutmosis III).

Dans ce prolongement, l’étude consacrée à Henri III et à ses mignons par Daniel Maira souligne la manière dont les catégories du masculin et du féminin permettent d’assigner des caractéristiques physiques et morales aux individus afin de justifier le pouvoir en place ou au contraire de lui porter atteinte. Ainsi, un ensemble de textes satiriques fait d’Henri III un être efféminé, allant jusqu’à le décrire comme un «transgenre». L’union et la confusion du masculin et du féminin dans une même personne rapproche le roi du monstre et du tyran. Dès lors, l’alternative transgressive que figure le souverain est un moyen de déprécier ses aptitudes à gouverner. La perte de la masculinité du roi en tant que dévaluation prend sens au sein d’une représentation du pouvoir qui s’incarne dans la virilité et sa force morale, en opposition à la mollesse associée à la féminité. Les enjeux de pouvoir sont également au coeur de la contribution de Fanny Cosandey qui s’intéresse à la participation des femmes de la haute noblesse aux affaires politiques en étudiant leur rôle dans la promotion familiale. La répartition des membres de la cour de France entre le XVIe et le XVIIIe siècle selon les rangs dans les archives du cérémonial met en évidence les enjeux de genre et l’aspect transgressif que peut revêtir la position de certaines femmes, notamment des princesses. Par le biais d’un brevet royal qui les place au-dessus de leurs maris, ces dernières deviennent un élément dominant dans la hiérarchie de cour. Cette inversion des rôles s’érige à l’encontre de la position d’infériorité que leur confère le statut d’épouse et du primat de l’autorité masculine que représente la monarchie française.

Le deuxième axe de recherche se situe autour de l’indétermination genrée, évoquant des individus à l’identité sexuée et sexuelle ambivalente, allant jusqu’à constituer dans certains cas un «troisième genre». La figure de l’eunuque, comportant une duplicité sexuée, occupe deux articles de ce volume. L’étude de Laurent Kondratuk se penche sur l’hermaphrodite et l’eunuque en tant que catégories d’individus au sein des sources juridiques. Le premier, dont la figure est développée par les récits mythologiques, n’a que très peu de place dans le droit romain, puis canon aux XIIe et XIIIe siècles. L’eunuque en revanche, dont la présence est attestée dans le bassin méditerranéen d’Orient, est envisagé par les législateurs romains qui clarifient son statut ambigu sur le plan sexué. La contribution de Georges Sidéris rend compte des débats passionnés que déclenche la nature physiologique de l’eunuque entre le IVe et le XIIe siècle à Byzance. À travers l’exploration des sources médicales, le discours de Galien apparaît comme fondamental dans l’influence qu’il détient sur la manière de représenter l’eunuque, ni homme ni femme, mais constituant un genre à part, un troisième sexe neutre, sans désir sexuel. À la suite d’Oribase, les médecins byzantins reprennent cette définition et revisitent la pensée de Galien. Toutefois, certains penseurs font de l’eunuque la cible de virulentes critiques en raison de l’entre-deux qu’il représente. Son caractère transgressif en regard de la loi binaire des sexes provoque suspicions et interrogations.

Le qualificatif de troisième genre, que l’historiographie a attribué aux clercs du Moyen Âge, est remis en cause par la lecture de cette forme particulière de masculinité que propose Christopher Fletcher. Sa contribution prouve qu’au lieu d’une scission entre deux modèles culturels de masculinités habituellement pensées en opposition, celle des clercs et celle des chevaliers, il existe une relation étroite. À travers une étude minutieuse du vocabulaire employé, un passage emprunté à l’Histoire de Guillaume le Maréchal (XIIIe siècle) révèle que la masculinité valorisée des clercs et celle de la noblesse partagent un même système de valeurs et expriment des qualités similaires.

Si ces articles, par leur aspect pluriel, peuvent paraître disparates de prime abord, la lecture de ce volume montre au contraire les relations profondes que tisse la thématique de la transgression et de l’inversion des genres au sein de différentes sociétés et cultures à travers le temps. La richesse et la diversité des contributions met en lumière que le genre est porteur d’un système de représentations symboliques qui permet de valoriser et de légitimer, autant que de jeter le discrédit sur le pouvoir en place, étant investi d’implications politiques, identitaires et sociales fondamentales.

Zitierweise:
Anne-Lydie Dubois: Eva Pibiri, Fanny Abbott (éds.): Féminité et masculinité altérées: transgression et inversion des genres au Moyen Âge, Florence: Sismel – Edizioni del Galluzzo, 2017. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 69 Nr. 2, 2019, S. 321-323.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 69 Nr. 2, 2019, S. 321-323.

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